Prédication disponible en format audio.

« Imaginez-vous ! »  Apostrophe lancée habituellement comme un avertisseur que les mots et les concepts ne pourront rendre compte du récit qui s’annonce. Et combien il est vrai que l’imagination est une faculté spirituelle essentielle dans nos vies affectives et de foi. Dans la spiritualité ignacienne comme dans la Bible elle occupe une position centrale. Moïse détruit le veau d’or parce que le peuple l’enferme dans une seule image alors que les Alliances vétérotestamentaires   abondent d’images pour éviter la facilité mentale de toute réduction trompeuse.

La résurrection du Christ, personne n’y a assisté si on en croit les quatre évangélistes. Contrairement à la crucifixion, l’événement ne relève pas de la science historique, sinon pour constater à partir de traces du passé que des hommes à une époque précise y ont cru et l’ont proclamée.

 Mais nous savons quand elle a eu lieu, un premier jour de la semaine, un dimanche, comme pour signifier la vérité de cette nouvelle création. Le Christ n’est-il pas le nouvel Adam ?  Si nous vivons la veillée pascale, ce n’est pas parce que c’est la veille du jour de Renaissance, mais pour nous inviter à demeurer en éveil à ce mystère de vie.

Souvenons-nous : Jésus est mort le vendredi dans l’après-midi. Le sabbat se pointe légalement au coucher du soleil. Et tout le samedi, dans la nuit et sous la lumière du jour qui s’impose, son silence demeure. Dieu se tait parce que sa Parole est enfouie dans la tombe et dans la mort. A l’aurore, le sabbat se termine dans les ténèbres de la nuit, ouvrant la voie au « jour » suivant. Dieu alors agit, redresse, ressuscite et recrée à nouveau. Il surgit telle une lueur divine dans la noirceur nocturne mais d’une manière discrète. Car dans l’obscurité naturelle personne ne circule dans une ville sans éclairage public. Selon les trois derniers évangélistes, le travail des femmes sur le corps de Jésus ne peut commencer qu’au matin. Matthieu est très explicite. La liturgie traduit ce moment de la sorte : « Après le sabbat, à l’heure où commençait à poindre le premier jour de la semaine, Marie Madeleine et l’autre Marie vinrent pour regarder le sépulcre. » Contrairement à ce qu’on peut lire dans les autres évangiles, les deux Marie ne viennent pas embaumer le corps – l’onction de Béthanie en Mt 26,12 a sans doute remplacé symboliquement ce rite, – mais rendre une pieuse visite chargée de souvenirs. Un désaccord entre les quatre évangélistes ? Il est vrai que des différences de détails ne manquent pas mais ce serait une erreur d’oublier que ces récits n’ont connus leur forme définitive que des décennies après la résurrection du Seigneur, suite à un lent travail de mémoire et de relecture au sein de jeunes communautés de croyants (autour d’un disciple éponyme qui transmet la parole de Dieu à sa manière sous l’inspiration de l’Esprit). Sans prétendre à une exégète élevée, la brièveté des textes d’apparition est une invitation à les relire en ces temps de Pâques, à les méditer, scrutant les originalités propres et aussi les convergences entre nos quatre auteurs. Une manière féconde de goûter le mystère de la résurrection. Et pour le coup, quel que soit l’évangile  ce sont bien des femmes, proches de Jésus,  qui sont les premièrs témoins de la résurrection. 

En ce jour de Pâques de l’année A suivons Matthieu dans son récit. 

Contrairement aux évangiles apocryphes qui se sont laissés aller à du spectaculaire délirant et naïf (au sortir du tombeau, Jésus est devenu un géant dans l’évangile de Philippe – on croirait Harry Potter) ) et présentent un ressuscité manifesté au tout venant, les quatre canoniques s’accordent sur la discrétion de la résurrection, personne n’y assiste, et Le vivant n’ apparaît seulement, et de  manière privilégiée, qu’à ceux qui l’ont connu et aimé. Matthieu accorde tout au plus un tremblement de terre (le séisme est symbole de puissance divine) et la présence craintive des gardes qui ne voient rien et ne comprennent rien, totalement bouleversés et « comme morts », réservant aux femmes davantage de sérénité, même si l’ange les invite à ne pas avoir de crainte. Qui n’éprouverait pas quelque frayeur devant une telle situation ? Quand Dieu entre dans notre histoire, personnelle ou collective, comment ne pas être chamboulé ? Aujourd’hui encore l’attitude des femmes nous invite en tout point à revisiter et ajuster la nôtre devant notre Dieu. Et même si effectivement elles ne sont pas venues dans la perspective de la résurrection – « Je sais que vous cherchez Jésus le Crucifié. »- elles demeurent disponibles à la nouveauté de Dieu.

S’il est une activité humaine qui demande de l’imagination c’est bien la pédagogie. Et s’il est un maître en ce domaine, c’est bien le Christ. Tout l’évangile le montre.  Ressuscité il ne change pas sa manière de faire. Après une introduction tonitruante pour attirer l’attention et donner le ton de la rencontre, l’ange entreprend de préparer les cœurs.  Descendu du ciel, roulant la pierre et s’étant assis dessus, symbole de la mort vaincue, il agit avec la puissance de Dieu. Son éclat écarte les gardes non concernés par la scène, réservant son discours aux deux femmes. En les rassurant et en leur révélant la vérité de leur intention (comme Jésus le fit avec la Samaritaine) (vous cherchez Jésus le Crucifié) il leur révèle l’absence définitive dans le sépulcre, comme le tombeau vide s’imposait à Pierre et Jean dans le 4e évangile. Jean vit et cru. Les deux Marie ont besoin d’une parole qui éclaire et de mesurer l’espace à jamais libre. Enfin pour les inviter à investir dans leur propre vie intérieure, l’ange souligne que cet événement, Jésus lui-même l’avait annoncé. Souvenez-vous… écho actuel du « Souviens-toi Israël, je suis le Dieu qui t’a libéré de l’esclavage… » Faire mémoire, relire dans l’unité les événements pour découvrir Dieu dans sa vie. Etablir le lien entre le Jésus aimé parmi les vivants et mort sur la croix, et celui qui arrive pas à pas à la reconnaissance de ceux qui l’ont suivi. Et moi, homme et femme, croyant du XXIe siècle, quelles facultés humaines je décide de convoquer  pour reconnaître mon Dieu, pour répondre à sa révélation ? « Prends Seigneur et reçois, toute ma liberté, ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté » lit-on dans la tradition ignacienne. Au Dieu qui se donne nous ne pouvons que donner. Donnez et il vous sera donné une mesure bien pleine… Dans cette libération donnée, est-ce que j’engage aussi ma liberté qui se conjugue dans ma mémoire et ma capacité de comprendre. Jusqu’où vais-je m’investir dans ce salut ?

L’ange et saint Ignace procèdent selon la même logique. Le sommet de la rencontre se vit sur le plan de la volonté. Ma volonté est de faire celle de mon Père. La volonté, synonyme de l ‘amour, indique un engagement, une espérance concrète, une mission, un appel qui se concrétisent aussitôt : « Vite, allez dire à ses disciples ». La résurrection n’est pas seulement objet de contemplation, elle est aussi mise en mouvement, déplacement et partage à nos frères et sœurs dans la foi et en humanité.

« Quitter le tombeau » c’est renoncer à nos anciennes images de Dieu, ce qui ne se fait jamais sans une certaine hésitation. Mais si le vin nouveau réjouit le cœur de l’homme, rempli à la fois de crainte et d’une grande joie, il  le met aussi en route.

Tout est enfin prêt pour que Jésus se présente, se rende présent personnellement. Comme à son habitude il vient à la rencontre et renouvelle la mission non sans les avoir à nouveau apaisées. 

Quand Jésus choisit 12 disciples pour être avec lui, aussitôt, comme si l’urgence indiquait la nature même de notre compagnonnage, il les envoie deux par deux.  A peine ont-elles touché ses pieds, parce que l’incarnation continue, elles sont envoyées en mission, vers la Galilée et la communauté chrétienne qui va connaitre le même renouvellement. 

Tout le monde connait « l’effet papillon », du moins dans sa version vulgarisée. Un battement d’aile de papillon pourrait provoquer par démultiplication une tornade ou un cyclone ailleurs sur notre planète. Ces deux phénomènes météorologiques sont connus pour leur grande capacité à déplacer de l’air et aussi pour leurs effets dévastateurs. Ce qui amène parfois à y interpréter cette image comme ’un acte mauvais qui peut être la cause de grandes catastrophes. Mais c’est oublier que ceci est valable aussi pour le bien. Un sourire peut transformer une vie, une main tendue en sauver une autre. La résurrection du Christ est un battement d’aile au vu de l’histoire, mais elle est la source d’un souffle divin qui parcourt notre monde et nous en sommes les artisans. « Si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ… et l’accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie…  La grâce doit établir son règne en rendant juste pour la vie éternelle par Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 5).

Touchés par la grâce allons en Galilée la propager. 

Samedi Saint – 8 Avril 2023 – Père Denis JOASSART

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