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A force d’entendre, années après années, les récits de la mort de Jésus, à force de méditer les Evangiles, à force peut-être d’écouter les Passions de Jean-Sébastien Bach ou de contempler les innombrables représentations de la Croix que nous ont laissées vingt siècles d’art chrétien… nous sommes tous tentés de nous représenter l’irreprésentable. Un jour ou l’autre, tous les chrétiens essaient d’imaginer comment ça s’est passé. Comment s’est déroulée la mise à mort de Jésus.  

Et ce n’est pas une mauvaise idée. Au contraire, il est tout à fait normal d’essayer de se représenter ces récits de la Passion de Jésus. C’est non seulement normal, mais c’est aussi utile. C’est utile car c’est ainsi que nous entrons vraiment dans le récit, c’est ainsi que ces récits prennent corps dans notre cœur. C’est en essayant de nous représenter ce que nous racontent les Evangiles que nous faisons entrer ces récits dans notre mémoire, dans notre imagination, et finalement dans notre cœur.

Mais attention. Notre imagination peut parfois être trompeuse. Elle peut nous illusionner. Notre imagination a un pouvoir presqu’infini… et si l’on veut éviter qu’elle ne s’emballe, il faut la maintenir bien attachée aux récits évangéliques. Oui, il faut rester rivé aux Evangiles si l’on veut éviter que notre imagination nous embarquent dans des fictions. Car cela risquerait non pas de nous rapprocher du Christ mais de nous éloigner de Lui.

Or deux grandes illusions d’optique menacent souvent nos représentations de la Passion. La première concerne les contemporains de Jésus ; la seconde Jésus lui-même.

Du côté des contemporains du Christ, il ne faut pas laisser notre imagination s’emballer quand le récit évangélique parle de la « foule ». Certes, une « foule » accompagne Judas à Gethsémani. Certes, ce sont « des foules » à qui Pilate s’adresse pour savoir qui, de Barrabas ou de Jésus, doit-il libérer. Certes enfin le peuple est « en grande foule » quand il accompagne Jésus du Prétoire au Golgotha. Et donc, il y avait assurément beaucoup de monde autour de Jésus, tout au long de sa Passion. Il n’y avait pas beaucoup de disciples, mais il y avait du monde. C’est vrai. Mais attention, de même que la présence de Marie-Madeleine et Jean ne doit pas éclipser la débandade des Apôtres, de même n’allons pas imaginer que le monde entier était focalisé sur la mise à mort de Jésus !

En réalité, ce fut plutôt le contraire. L’immense majorité des gens qui vivaient à ce moment-là ont continué à vivre comme si de rien n’était. Ce Vendredi Saint de l’an 30, ce jour si funeste où les hommes crucifièrent leur Seigneur, ce fut un vendredi comme les autres. Mis à part les habitants de Jérusalem, la mort de Jésus laissa le monde indifférent. Totalement indifférent. Comme si de rien n’était. On était en train de tuer Dieu, mais tout le monde s’en fichait. Les marchands continuèrent à marchander, les voyageurs à voyager, les gouverneurs à gouverner, les mendiants à mendier, les laboureurs à labourer et les pécheurs à pécher. Quand Jésus fut mis à mort, presque tout le monde s’en fichait.

Et cela signifie donc, que l’acte d’amour le plus incroyable que Dieu a fait à l’humanité, la folie d’amour de la croix, a laissé le monde dans l’indifférence. Le monde n’y prêta pas plus attention qu’à la mort d’un insignifiant esclave ou la fin d’un mauvais spectacle.

Et bien, cette relation de l’amour vrai et du monde vaut toujours aujourd’hui. Aujourd’hui encore, le monde valorise l’éclat, le prestige, le grand spectacle. Aujourd’hui encore, le monde ignore la plupart des actes d’amour authentique qui pourtant le font vivre. Quel journal s’intéresse aujourd’hui aux sorts des bénévoles qui se dévouent corps et âme pour sauver les Yéménites de la famine et de la guerre civile ? Quelle télévision se penche encore sur les sauveteurs au Mozambique où le drame d’un cyclone ne fait que commencer ? Quels réseaux sociaux s’émeuvent des milliers de chinois, tant musulmans que chrétiens qui disparaissent dans des geôles anonymes au simple motif de leur fidélité ? Non, les indignations du monde sont à la fois bien sélectives et bien éphémères.

L’amour véritable est discret et sans éclat, il est humble et délicat et, hier comme aujourd’hui, le monde ne le voit pas. Alors ne nous illusionnons pas sur un « amour grand spectacle », cela n’existe pas, suivons plutôt humblement notre Roi qui donne sa vie sur la croix.  

La seconde illusion d’optique consiste en une surinterprétation du cri de Jésus sur la croix. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il ne fait aucun doute que Jésus a réellement éprouvé cet abandon, qu’il a réellement souffert cette déréliction. Mais cet effroyable sentiment qui a envahi son âme ne doit pas être le seul point d’attention de notre imagination. Et surtout, il ne doit pas nous faire oublier l’essentiel : c’est que tout cela, toute cette souffrance, en fait, Jésus l’a voulue. Bien sûr, Jésus a atrocement souffert lors de la flagellation ; bien sûr il a atrocement souffert lors de la crucifixion, bien sûr son agonie sur la croix dut être insoutenable, bien sûr, il s’est réellement senti abandonné de son Père. Tout cela est vrai, mais cela ne doit pas nous faire oublier que Jésus a voulu vivre tout cela. Quand il a choisi de monter à Jérusalem où tant de Juifs voulaient sa mort, quand il a accepté la coupe que lui présentait sa prière à Gethsémani, quand il a épousé la volonté de son Père, Jésus voulait sa mort, Jésus choisissait volontairement de souffrir cette Passion. Autrement dit, dans sa Passion, Jésus ne perd  pas sa vie, il nous la donne.  

Alors contemplons le renversement inouï qui s’opère sous nos yeux : c’est notre juge qui monte sur l’échafaud ! C’est celui qui n’a jamais péché, qui prend sur lui tout le péché du monde ! Le visage qui ne s’était jamais fermé à la détresse de ses frères, est couronné d’épines ; ces mains qui n’avaient jamais frappé, sont transpercées de clous ! Ce cœur qui n’a jamais haï personne, est percé d’une lance !

Mais dans ces blessures nous trouvons notre guérison. De ces plaies, nous voyons jaillir l’amour infini de Dieu. Dans son silence, nous entendons la patience de sa miséricorde. Dans sa passivité, nous découvrons la tendresse de son amour.

Oui, aujourd’hui nous contemplons un crucifié. Un crucifié qui meurt discrètement, comme tous les autres. Un pauvre condamné qui laisse l’humanité d’alors indifférente. C’est vrai. 

Mais ce que nous contemplons surtout, aujourd’hui, c’est Jésus, qui rend toutes choses nouvelles. Ce que nous contemplons c’est le grand renversement des valeurs. C’est Dieu qui se fait faible, petit, mourant, condamné et pauvre.

Mais dans l’abaissement de son Fils,

Dieu, aujourd’hui,

nous rend à la vie.

Ainsi soit-il.

Vendredi Saint – 19 avril 2019 – Clément Binachon, op

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