Prédication disponible en format audio.

 Nos frères orthodoxes s’interpellent le dimanche de Pâques non par un « bonjour ordinaire » ou un don de la paix comme nos frères musulmans, mais par l’affirmation centrale de notre foi : « Christ est ressuscité », et pour entendre aussitôt de la part de tout frère et sœur dans la foi, cet écho impossible à contenir « Christ est vraiment ressuscité ». Ce n’est pas une salutation ordinaire, c’est un cri de joie, une louange spontanée, la fougue d’une exhortation, l’affirmation du cœur de notre vie spirituelle, une prière accompagnée par le geste traditionnel des orants, les mains levées à hauteur des épaules et de la tête, comme le prêtre lors de nos eucharisties. Une adhésion partagée qui appelle des autres la confirmation renforcée par le sceau de la vérité : « En vérité…  il est ressuscité. » Une lumière jaillissant de l’intérieur vers la communauté qui accueille, confirme, sanctionne et répercute la nouvelle.  La vie a vaincu la mort. Tout est dit et bien dit. 

Mais me vient une question toujours brûlante : qu’est-ce que la résurrection, et plus spécialement celle de Jésus ? Nous n’imaginons pas assez l’effort intellectuel et spirituel que les apôtres et leurs communautés de croyants tout neufs, ont fourni pour rendre compte de ce mystère. Car il s’agit bien d’une réalité extra-ordinaire, qui sort de l’ordinaire. Contrairement à une « inconnue » avec laquelle on n’entretient aucun rapport concret, affectif ou intellectuel, puisque précisément demeurée dans le registre du non-connu, le mystère est une profondeur de notre réalité que jamais nous ne pourrons épuiser et dans laquelle nous sommes toujours plongés. Ainsi l’amour est-il un des plus grands mystères de notre vie humaine et pourtant chacun le vit, en vit, sans jamais le mener à terme. 

Deux mots ont surgi dans l’imaginaire concret de nos ancêtres dans la foi, tantôt à l’actif tantôt au passif : ressusciter ou être ressuscité, c’est  « se mettre debout » ou « être remis debout » soit après s’être couché (anistamai), soit après un sommeil (egeiromai; c’est  être  éveillé et relevé. Deux termes qui nous indiquent la vie, tantôt comme une sortie de la mort perçue par le monde juif comme un sommeil tellement profond qu’il est définitif, et comme un redressement, une remise à debout, position contraire au coucher horizontal du dormeur et du défunt. 

Il s’agit donc en quelques mots, assez concrets et immédiats pour parler à tous, de rendre compte du drame de la mort et du miracle de sa sortie. Nous, humains, par le fait d’un seul, nous ne sommes plus des êtres vivants voués inexorablement à la mort mais destinés à la vie, et même à la Vie Eternelle. Voilà une information qui éclaire d’un jour nouveau notre manière de concevoir la nature humaine. Le livre de la Genèse nous avait révélé dans un mythe métaphorique que l’homme est fait de matière (terre) et d’esprit, (animé par le souffle de Dieu). Nous avons du divin en nous, nous sommes fondamentalement divins. (« Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu », écrivait saint Irénée). Voilà qui nous distingue d’un matérialisme radical. La connaissance qui vise à rendre compte de la nature de l’homme se nomme anthropologie, elle est le discours, ou plutôt les discours,  que l’on peut tenir sur la réalité humaine. Car si aujourd’hui il existe maintes anthropologies selon les cultures et les idéologies, la Bible nous ouvre aussi à une diversité. Quoi de plus normal après des siècles de tradition orale et d’efforts de transmission écrite où au fil des événements, la conception du monde et plus particulièrement celle de l’homme évolue. 

Sans oser prétendre épuiser le sujet et au grand dam des biblistes plus pointilleux dans leur recherche, il est un fil conducteur intéressant pour ouvrir un chemin sans cesse à parcourir sur la vérité de la résurrection. 

Dans le monde grec, celui de la philosophie, l’homme peut être considéré dans sa valeur intrinsèque, être observé dans ce qu’il est en lui-même, peu importe ce qu’on peut percevoir et dire de lui : c’est l’ « en soi », ce qu’il est en lui-même. Démarche intéressante qui va façonner notre Occident. Mais il est une autre approche que l’on retrouve partout dans la Bible et particulièrement dans la réponse que Jésus adresse au scribe curieux ou légaliste : 37 Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.38 Voilà le grand, le premier commandement.39 Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. (Mt 22, 37-39) 

Voilà ce qui nous façonne en profondeur, nos relations à Dieu, aux autres et à nous-mêmes. Sans entrer dans la subtilité de l‘hébreu, il ait trois concepts qui nous traduisent cette triple dimension existentielle : l’ « esprit », qui désigne toute notre personne avec ses richesses, son histoire, ses fragilités comme ses désirs… mais sous l’angle de sa relation à Dieu (nous sommes enfants de Dieu), le « corps » qui est la même personne dans sa totalité mais perçue dans sa relation aux autres (loin d’être limité à la biologie, le corps est ce qui nous relie en premier aux autres, par notre naissance, nos manières d’exprimer nos amitiés et sentiments pour autrui…) et l’« âme », notre personnalité, dans son effort constant à prendre conscience d’elle-même et de décider de son destin, d’être marquée par la liberté. Ces trois relations sont non seulement constitutives de notre personne, mais elles sont intimement liées les unes aux autres. On lit dans la première épître de Jean : 20 Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu », alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas.21 Et voici le commandement que nous tenons de lui : celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère .1 Jn 4 ) et en Matthieu “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.” (Mt 25, 40)  

Et la résurrection ? Le témoignage des évangiles est éloquent sans être clos. Jésus n’apparaît qu’à des personnes qui l’ont connu et aimé. Ni Pilate ni Caïphe n’auraient pu reconnaître Jésus parce que leurs rapports n’avaient pas été marqués par le sceau de la bienveillance et de la foi. La résurrection est cette nouvelle manière du Christ de créer, recréer, une qualité de relation, non plus marquée par les limites de notre condition spatio-temporelle et le régime de « l’arbre de la connaissance et du bien et du mal », mais par la vitalité rétablie du projet de Dieu.  Il est totalement libre de toute limite, de tout enfermement, tout en maintenant l’effort pédagogique dont il a fait preuve toute sa vie missionnaire et qui constitue le cœur-même de notre foi : l’Incarnation. Il ne cesse de donner des gages de son identité passée et présente. Thomas résume bien notre préoccupation encore actuelle : le mort sur la croix est-il celui que j’ai devant moi, celui en qui je mets ma foi ? Jésus mange, il parle, il se donne à voir, se laisse saisir les pieds, il marche aux côtés de ses disciples, il pose des actes de sa vie passée qui le caractérisaient, … mais il n’est pas enfermé pour autant par ses traits, ni dans un même lieu. Il ne se laisse pas toucher au premier abord pour ne pas être enfermé par le souvenir, il « monte au ciel », il est libre. Il est la première des créatures. 

Et la mort ? elle est cet état où il n’y a plus relation, où l’homme demeure seul, sans lien avec d’autres et de ce fait déconnecté de lui-même. Devant la tombe de Lazare, Jésus pleura, comme il pleure devant Jérusalem à la perspective du temple détruit, vide de son Dieu. 

Il ne s’agit pas de comprendre seulement par la raison la résurrection, ce serait impossible au risque de ramener une fois de plus Dieu aux limites de notre entendement. Il convient de la goûter par l’intelligence de la foi, contempler les scènes d’apparition, de relation renouée, par l’imagination spirituelle, y demeurer pour recevoir ce qu’on désire, la lumière sur ce mystère qui nous révèle et Dieu, et notre pleine humanité. 

Aujourd’hui, au jour d’aujourd’hui, commençons à goûter notre Seigneur pleinement vivant à travers les rencontres de ses amis. Prenons résolument chaque passage et en demandant la grâce de mieux vivre de sa plénitude, laissons-nous  interpeller par les anges qui rassurent, invitent  à voir le tombeau vide, et envoient vers le Vivant, laissons-nous être rassurés par Jésus lui-même  qui nous  indique la route pour partager notre expérience, marchons avec Lui sur le chemin d’Emmaüs en scrutant sa Parole et participer au festin de l’Agneau, mangeons avec lui sur la rive  du lac de ce pain et des poissons qu’il nous prépare, répondons tout simplement à la question « M’aimes-tu » ? Allons par le monde entier annoncer l’Evangile … car il est le Fils du Dieu vivant ? 

Si la personne est perçue dans sa vérité par sa relation à Dieu, aux autres et à soi-même, alors nous pouvons regarder la Pentecôte comme cette qualité relationnelle à Dieu lui-même, notre esprit, qui atteint un accomplissement total, puisque nous recevons à nouveau l’Esprit de Dieu comme une nouvelle création. Animés par son souffle et son feu intérieur, nous pouvons alors annoncer la Bonne Nouvelle, et plus encore la vivre avec tous nos frères en humanité.

Et ainsi chacun, personnellement, connaîtra cette paix intérieure, cette liberté achevée, l’âme sera totalement libre de choisir la vie. (« … je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance, (Dt 30, 19)  « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ;    quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. (Jn 11) 

 

Et à la fin des temps, quand le Fils de l’homme viendra, nous vivrons pleinement nos trois liens d’amour, celui de Dieu, des autres et de soi-même. 

Tout est dit, et bien dit. Et nous ne cesserons jamais de le proclamer. 

Dimanche de Pâques – 9 Avril 2023 – Père Denis JOASSART

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