« Le procès juif de Jésus »

La mort de Jésus en croix déclenche en nous beaucoup de questions : « Que s’est-il vraiment passé à Jérusalem le Jeudi Saint et le Vendredi Saint ? » ; « pourquoi Jésus a-t-il été arrêté? »; « qui a décidé de le mettre à mort ? » ; d’où proviennent nos informations ? »; « avons-nous vraiment des informations scientifiques, historiques ? »; « y a-t-il des textes non chrétiens sur la mort de Jésus ? »; « que savons-nous des pratiques judiciaires des Juifs et des Romains au temps de Jésus ? »; « Pouvons-nous faire confiance aux évangiles quand ils nous racontent le procès de Jésus ?»

Plusieurs historiens de l’Antiquité évoquent brièvement la figure de Jésus : Flavius Joseph (37-97) ; Cornelius Tacite (55-118) ; Suétone (69-125). Par ailleurs, le Talmud, recueil de loi et de traditions juives, ne met pas en doute la réalité historique de Jésus.

En réalité, nous avons à nous demander : qu’entendons-nous par histoire ? Voulons-nous des faits bruts qui seraient transmis de manière neutre? Nous sommes marqués par l’utilisation des films dans la présentation des événements historiques et nous aimerions avoir un reportage en direct des événements qui ont eu lieu à Jérusalem il y a deux mille ans.

Le père Lagrange, dominicain, fondateur de l’École biblique de Jérusalem en 1890, enseignait que l’histoire se fait avec des documents et des monuments. Mais pouvons-nous réduire l’histoire de notre famille aux documents et aux monuments ?

Les évangiles qui nous racontent le procès de Jésus ont connu une longue et complexe histoire à partir des traditions orales et des compositions littéraires en fonction des auteurs, de la finalité, des publics sans oublier la liturgie qui transparaît dans les récits. Saint Jean précise à la fin de son quatrième évangile le sens et les limites de son œuvre : « Jésus a fait sous les yeux de ses disciples encore beaucoup d’autres signes qui ne sont pas écrits dans ce livre. Ceux-là ont été mis par écrit, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant vous ayez la vie en son nom » (Jn 20, 30-31).  Il s’agit par conséquent d’un message théologique pour le salut des hommes, riche d’une interprétation plurielle, car Dieu a tenu à offrir quatre versions du mystère de son Fils bien-aimé, Jésus, et non pas une seule. Le Seigneur aime l’unité mais pas l’uniformité. Peut-être d’aucuns diront-ils : il eût mieux valu n’avoir qu’un seul évangile ! Cela fait penser aux défenseurs de la langue espéranto ou aux avocats de la messe en latin sur les cinq continents pour faciliter la communication à la place d’une multitude de langues et de cultures. Mais l’Esprit-Saint développe la diversité dans la communion.

Les récits évangéliques apportent non pas des faits bruts mais une interprétation des événements. D’ailleurs, toute communication humaine passe par des médiations et des interprétations. Il suffit de penser à une lettre d’amour qui est lue et relue, interprétée, caressée et gardée dans le cœur, appelant la naissance d’une nouvelle lettre.

Nous comprenons ainsi l’importance de l’exégèse comme interprétation scientifique des textes révélés dans la lumière de la foi car sans la foi il n’y a point de théologie ni d’exégèse chrétienne mais de simples études littéraires.

Les autorités juives qui ont condamné Jésus a mort ont tenu à appliquer le droit juif mais nous assistons aujourd’hui à une grande controverse[1] à l’intérieur des historiens juifs sur l’application du droit mishnaïque pour la période antérieure à l’an 70, date de la prise de Jérusalem et ce débat concerne notamment le fonctionnement du Sanhédrin.

Le droit romain a joué un rôle important aussi dans le jugement de Jésus. Les autorités juives s’adressent à Pilate qui seul peut appliquer la peine de mort (potestas gladii). L’historien juif Flavius Josèphe donne l’impression que les autorités romaines gardaient une marge importante de liberté dans l’application des édits impériaux.

Le Catéchisme de l’Église Catholique témoigne de la valeur des évangiles : « La foi peut donc essayer de scruter les circonstances de la mort de Jésus, transmises fidèlement par les Évangiles et éclairées par d’autres sources historiques, pour mieux comprendre le sens de la Rédemption. » (n°573) ; « L’Église reste fidèle à « l’interprétation de toutes les Écritures » donnée par Jésus Lui-même avant comme après Pâque : « Ne fallait-il pas que le Messie endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24, 26-27 ; 44-45). Les souffrances de Jésus ont pris leur forme historique concrète du fait qu’Il a été « rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes » (Mc 8,31) qui L’ont « livré aux païens pour être bafoué, flagellé et mis en Croix » (Mt 20, 19) (n°572).

Le Sanhédrin était composé habituellement de soixante-dix membres et présidé par le Grand-Prêtre. Trois groupes formaient ce Sénat aristocratique : 1) les anciens ou chefs des clans ; 2) la classe sacerdotale, les Sadducéens, qui choisissaient le Grand-Prêtre ; 3) les docteurs de la Loi ou scribes dont beaucoup faisaient partie du groupe des Pharisiens.

Les évangiles nous présentent deux procès : un procès religieux juif et un procès politique romain. Ces deux procès souffrent de nombreux dysfonctionnements en commençant par le fait qu’en droit il ne doit y avoir qu’un seul procès.

L’arrestation à Gethsémani avait été décidé par les grands-prêtres. Jésus fut conduit d’abord chez Anne, politique habile, qui voyant la complexité de l’affaire le renvoya rapidement chez Caïphe, son gendre. C’est chez Caïphe que Jésus passa la nuit « en garde à vue ». Selon le droit juif, il était interdit de siéger la nuit. Mais les autorités juives ont dû préparer au cours de la soirée du Jeudi Saint la condamnation décidée au matin du Vendredi Saint. L’interrogatoire de Jésus fut accompagné d’outrages et de coups : « Fais le prophète ! Qui est-ce qui t’a frappé ? » (Lc 22 64).

De faux témoins transformèrent les propos de Jésus sur le Temple pour le faire condamner à mort mais ils se contredisaient.

Le Grand Prêtre l’interrogea : « Tu es le Christ, le Fils du Béni ? ». Jésus répondit : « Je le suis ». Le Grand Prêtre déchira alors sa tunique et tous les membres du Sanhédrin prononcèrent la sentence de mort pour blasphème.

 

« Seigneur, pardonne à ton Peuple ; ô Seigneur pardonne-nous ».

[1] Raymond E. Brown,  La mort du Messie. Encyclopédie de la Passion du Christ de Gethsémani au tombeau. Un commentaire des récits de la Passion dans les quatre évangiles. Préface de Daniel Margerat. Paris, Bayard, 2005. P. 48.

 

Fr. Manuel Rivero O.P. – Temps de Carême – Jeudi Saint 29 mars 2018

Aumônier du centre pénitentiaire de Domenjod (Saint-Denis. La Réunion).

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