170e anniversaire

de la Fondation des « Filles de Marie »

19 mai 1849 -19 mai 2019

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 « UNE VIVANTE ICONE DU CHRIST »

  

Introduction

 Merci Sœur Marie-Claire, Supérieure Générale des Filles de Marie, pour cette ouverture de notre célébration à l’occasion du 170e anniversaire de la fondation de la Congrégation. Durant cette eucharistie, nous rendrons grâce à Dieu pour tout le chemin parcouru, nous lui confions notre vie présente ainsi que l’avenir avec les onze professions religieuses de nos sœurs qui feront leurs premiers engagements aujourd’hui.

 

Nous venons de chanter en pensant à Marie-Magdeleine de la Croix, « Ta vie est un brasier d’amour ». Souvent, nous pouvons être tièdes ou froids, manquant de zèle ou nous laissant décourager. Aussi, jetons-nous dans le brasier d’amour du cœur de Jésus pour qu’il brûle nos péchés et nous permette de devenir brasier d’amour avec lui.

 

Homélie

 Chères sœurs, chers amis,

 

La Providence fait bien les choses. Elle nous donne à méditer un passage de l’Evangile de Jean alors que nous célébrons le 170e anniversaire de la Fondation de la Congrégation des Filles de Marie. Dans l’Evangile de Jean (ch. 13, 34), nous venons d’entendre Jésus nous « donne un commandement nouveau (…) », « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres ». Pour comprendre encore mieux, de plus en plus ce commandement, pensons à ce que Jésus a dit juste avant ; pensons à ce qu’il a fait, à ce qui s’est passé avant. C’était avant la fête de la Pâque, au cours du dernier repas où Jésus célèbre la sainte Cène, où il institue l’eucharistie.

 

Il se fait serviteur de ses apôtres, il leur lave les pieds pour qu’ils puissent marcher vraiment à sa suite. Simon-Pierre proteste. Laver les pieds d’un autre dans la civilisation juive de l’époque est un travail d’esclave. Jésus donne l’exemple : « Ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi ». Et Il continue « En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n’est pas  plus grand que son maître, ni un envoyé plus grand que celui qui l’envoie » (Jn 13, 16).

 

Nous sommes au cours du dernier repas. Qu’est-ce qui se passe alors ? Judas est là et il se laisse embarquer par Satan. C’est Jésus lui-même qui le dit : « Satan entra en Judas ». « Il faisait nuit ». C’est l’heure de la puissance des ténèbres. C’est là, juste après – et c’est l’évangile d’aujourd’hui – Jésus annonce sa glorification et donne son commandement nouveau. Glorification et commandement nouveau.

 

Glorification. Dans les Ecritures, la Gloire est la manifestation de Dieu. En donnant sa vie, en aimant jusqu’à l’extrême, en donnant sa vie jusqu’au bout de l’amour jusqu’au bout de la croix, Jésus accomplit l’œuvre que le Père lui donne de faire. Il est dans une parfaite obéissance qui montre son unité avec le Père. L’unité et l’obéissance révèlent le Père. « Jésus qui avait aimé les siens qui sont dans le monde les aima jusqu’au bout », jusqu’au bout de l’amour, jusqu’au bout de sa vie, jusqu’au bout de la croix. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13) nous dira saint Jean qui se mettra à suivre Jésus.

 

Commandement nouveau. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Il n’y a pas besoin d’être chrétien pour aimer. Tous les humains portent en eux le désir d’aimer et d’être aimés. Il y a là une dimension religieuse, même chez les païens… comme à l’époque dans le monde israélite. Le commandement de Jésus est nouveau parce qu’il exige de s’intégrer à une communauté qui tourne son cœur, son regard, ses actions vers la venue glorieuse de Jésus qui fera un jour la terre nouvelle et les cieux nouveaux. Mais cela requiert en même temps une humilité et une volonté de service qui mènent à prendre la dernière place et à mourir pour les autres. Cet amour devient le signe de la présence de Jésus dans le monde. « A ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples, à l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13, 35). Jésus a prié pour cela « Que tous soient un comme toi, Père tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous et nous en eux, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (17, 21). L’enseignement de Jésus et sa manière de vivre nous renforcent dans la possibilité de vivre pleinement l’amour fraternel et l’entraide mutuelle sur le chemin de la perfection.

 

Lorsque saint Jean aujourd’hui nous montre les exigences du commandement nouveau, il ne parle pas d’abord d’aimer le prochain en général mais de l’amour mutuel des disciples. Donc, l’amour atteint son plein épanouissement dans une communauté où il y a l’échange, don et accueil. Alors, à partir d’une communauté où il y a échange, don et accueil, l’amour peut rayonner à l’extérieur, dans la société où vit cette communauté qui annonce le Royaume de Dieu. Mais saint Paul qui viendra après saint Jean nous dit « Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu » (Actes 14,22). Tout cela peut s’appliquer à toute communauté aujourd’hui et à chaque communauté des Filles de Marie.

 

Toujours donnée aux autres…

 

Nous célébrons les 170 ans de la Congrégation des Filles de Marie. Nous ne pouvons pas le faire sans remercier et honorer Marie Françoise Aimée Pignolet de Fresnes. Elle est née le 2 juin 1810 sur la propriété du Désert à Saint-André. Comme cela se faisait à l’époque, parfois une famille confiait un tout jeune enfant à une parenté qui n’avait pas d’enfant. Cela a été le cas pour Aimée Pignolet de Fresnes. Dès sa naissance, elle est promise à sa marraine, madame Mézières de Lépervanche. Elle dira plus tard dans ses souvenirs intimes la marque et le manque qu’avait laissés en elle cette séparation, alors qu’elle était chez sa tante : « Ma tante ayant dans la paroisse de Saint-André, où j’étais née, une petite maison tout près de l’église, elle allait aux grandes fêtes de l’année y passer quelques jours, et moi j’étais doublement heureuse de ces petits voyages car ils me rapprochaient de ma mère et de mon père. Plus je grandissais, plus je regrettais de ne pas vivre au sein de ma famille ». Elle vit en effet avec sa marraine sur la propriété du Niagara à Sainte-Suzanne.

 

A 8 ans à Saint-André, elle a un amour extraordinaire pour Jésus crucifié. Prosper Eve, son historien, a écrit dans « Le chemin de perfection » sur lequel je m’appuie et utilise pour mes citations : « … son regard est attiré comme un aimant vers Jésus et se concentre vers celui qui a ‘tant souffert pour tout pardonner’ ». « Qui a tant souffert pour nous pardonner » est une citation de la petite Aimée. La petite fille est très sensible, avec une santé fragile. Mais elle a un amour de bonté divine pour les créatures qui sont autour d’elle. Un jour, elle voit un maître s’acharner sur un esclave. Elle l’arrête. Elle écrira plus tard dans ses souvenirs intimes :

 

« Je ne pouvais pas voir souffrir un être malheureux ; les pauvres esclaves avaient toute ma compassion. J’avais en horreur les maîtres qui étaient durs et même barbares à leur égard ; je souffrais horriblement toutes les fois que je savais qu’on les corrigeait au-delà de ce que la justice exigeait. Je n’ai jamais pu voir corriger un esclave. Je crois que plus d’une fois, j’ai dû appeler la malédiction de Dieu sur les maîtres qui étaient vraiment féroces – c’est le mot. Plus d’une fois, j’ai caché le mal que j’ai vu faire dans la crainte d’un châtiment. J’ai toujours souffert de voir qu’on traite ces pauvres esclaves plutôt comme des bêtes de somme que comme des êtres créés à l’image de Dieu. Aussi, lorsque plus tard, je me suis occupée d’eux, j’ai eu bien à souffrir de la part de ceux qui me blâmaient de m’adonner à l’instruction religieuse de ces êtres si malheureux dont la plupart étaient abrutis par la misère. Je crois à force de se voir comparer à des animaux, ils finissaient par se regarder comme tels » (mars 1858).

 

La liberté des enfants de Dieu

 

En octobre 1840, son père est malade, la fin approche. Il s’était converti. Et Aimée avait prié pour cette conversion. Elle prie en action de grâce et dit à Jésus « En reconnaissance de la grâce que vous venez de me faire en la conversion de mon  père, je me consacre à votre service pour gagner des âmes ; je veux soigner les êtres les plus abandonnés, surtout les vieillards, les infirmes, les lépreux ; ma part sera désormais ce que le monde rejette. Mon Dieu ! Mes mains qui vous ont tant offensé, désormais s’occuperont à travailler pour vos  pauvres églises et vos prêtres, mes pieds qui ont marché sur le sentier de l’iniquité, courront après les âmes égarées pour les ramener auprès de vous ; ma bouche qui s’ouvrira que pour instruire les ignorants dans votre sainte religion et leur apprendre à vous aimer ; enfin, tout mon être est à vous et mon cœur ne veut que vous pour toujours » (p. 97)

 

En 1842, le jeune prêtre réunionnais, Frédéric Levavasseur revient à La Réunion. Entre Aimée Pignolet de Fresnes et Frédéric Levavasseur, va se développer une amitié spirituelle, une préoccupation missionnaire commune. Le Père Levavasseur deviendra son Directeur spirituel. Aimée a de plus en plus la conviction qu’il lui faut réunir sous un même toit tout ce que le monde rejette et qui sera sa part à elle. Mettre ensemble aussi les filles qui ne seraient plus alors traitées comme des esclaves et des filles de la société libre. Elles seraient alors toutes ensemble libres, de la liberté des enfants de Dieu. Le 9 mars 1849, Aimée écrit à Monseigneur Poncelet alors Vicaire apostolique à La Réunion pour lui demander son approbation. Le 16 avril 1849, elle s’installe avec ses premières compagnes, ses sœurs en Jésus-Christ à la Rivière des Pluies. Dès lors, elle ne s’appartient plus, elle est toute donnée aux autres. La construction du bâtiment n’est même pas terminée. Le 19 mai 1849 – il y a 170 ans – exactement à la même date qu’aujourd’hui – Aimée Pignolet de Fresnes prononçait ses vœux à l’église de la Rivière des Pluies.

 

Douze novices l’attendent dont huit esclaves affranchies le 20 décembre 1848 : Lodoïska Charles, Ernestine Edouard, Amélie Paul, Clémentine Paul, Victoire Julie, Aline Christophe, Joséphine Michel, Séraphine Vilment ainsi que deux personnes de la société réunionnaise et deux de la société mauricienne.

 

La Congrégation des Filles de Marie est lancée. Les contestations surgissent de toute part, y compris de membres du clergé. En 1858, Mère Marie Magdeleine de la Croix, repense à tout cela et écrit : « Mon Dieu que vous êtes admirable dans ce que vous faites ; vous appelez à vous pour fonder une œuvre l’être la plus faible, la plus misérable, la moins capable, celle qui vous a offensé plus que les autres, cette ordure qui n’est que la balayure de toutes les passions. En un mot, vous prenez pour vous tout ce que le monde eut rejeté cent fois. Que ferez-vous de cette âme ? Vous l’avez retirée d’un cloaque d’immondices, vous l’avez arrachée à elle-même par les sollicitations, par les remords ; vous ne lui avez donné aucun repos jusqu’à ce qu’elle ait baissé pavillon devant votre miséricorde infinie. O monde, comprendrez-vous tout l’amour de la part d’un Dieu pour sa créature ingrate et coupable. Oh qu’il fut grand, qu’il fut immense cet amour de Jésus. »

 

Grain jeté en terre

 

 Aimée Pignolet de Fresnes devenue Mère Marie Magdeleine de la Croix devient dans la transfiguration que Dieu opère en elle, oui, j’ose dire qu’elle devient une vivante icône du Christ. Déjà, avant sa mort, elle est le grain jeté en terre et qui va produire du fruit cent pour un. De son vivant, avec l’appui de son conseil, elle fonde dix-sept communautés à La Réunion, deux en Afrique (à Zanzibar et à Bagamoyo), treize à l’île Maurice. Tout ce travail apostolique a été coordonné successivement par dix supérieures générales.

 

Pendant quarante ans, jusqu’à son dernier souffle le 27 janvier 1889, le zèle apostolique de Marie Magdeleine de la Croix va croissant. Aujourd’hui, La Réunion compte vingt communautés, Madagascar treize, Rodrigues deux, les Seychelles six, l’Afrique trois : Zanzibar, Bagamoyo, Moshi. Ces noms portent la mission jusqu’au pied du Kilimandjaro, à partir de l’Eglise qui était et qui est à La Réunion. Les deux professes de Bungoma et de Moshi témoignent de cette épopée missionnaire qui, aujourd’hui en Tanzanie, donne ses propres enfants comme religieuses, comme prêtres. De même pour Madagascar. Puisse la profession d’aujourd’hui susciter de nouvelles vocations à La Réunion, à l’île Maurice, à Rodrigues et Agalega, à Madagascar, aux Seychelles, pourquoi pas aux Comores ?

 

Gardons-nous bien d’oublier les paroles fortes de Marie-Magdeleine de la Croix « La véritable cause qui empêche l’avancement dans la vie spirituelle, c’est l’indifférence et la lâcheté, on ne se préoccupe pas assez de cette vie toute sainte et surnaturelle ». Quelque 170 ans après, l’Esprit Saint suscite dans le pape François la même réflexion, le même appel (Exhortation du 25 mars 2019).

 

« Le Christ vit. Il est vivant. Il est en toi, il est avec toi et jamais ne t’abandonne. Tu as beau t’éloigner, le Ressuscité est là, t’appelant et t’attendant pour recommencer. Quand tu te sens vieilli par la tristesse, les rancœurs, les peurs, les doutes ou les échecs, il sera toujours là pour te redonner force et espérance » (§ 2 Christus Vivit).

 

Et encore : « chers jeunes, je serai heureux en vous voyant courir plus vite qu’en vous voyant lents et peureux. Courez, attirés par ce visage tant aimé que nous adorons dans la sainte Eucharistie et que nous reconnaissons dans la chair de notre frère qui souffre. Que l’Esprit-Saint vous pousse dans cette course en avant. L’Eglise a besoin de votre élan, de vos intuitions, de votre foi. Nous en avons besoin. Et quand vous arriverez là où nous ne sommes pas encore arrivés, ayez la patience de nous attendre » (§ 299).

 

Que la Vénérée Mère Marie Magdeleine de la Croix exulte en son âme et intercède pour la Congrégation des Filles de Marie, pour nos familles, pour nous-mêmes, pour l’Eglise en nos pays et pour nos peuples. Qu’elle nous aide à mettre en pratique le commandement nouveau que nous a laissé Jésus-Christ « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Et en nous souvenant que le disciple n’est pas au-dessus du Maître, puissions-nous voir un jour « un ciel nouveau et une terre nouvelle » où Dieu essuiera toute larme de nos yeux, où il n’y aura  plus ni larme, ni cri, ni douleur. Et que l’Agneau immolé qui siège sur le trône puisse déclarer « Voici que je fais toutes choses nouvelles ». Amen.

Monseigneur Gilbert AUBRY

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